La thérapie de la nostalgie

Nous avons connu un temps où notre taille, notre liberté et nos jeux nous permettaient de vivre au ras du sol.

Au ras des odeurs, des herbes, des insectes et des vers. On sautait dans la boue, on avalait de la terre. On rencontrait des vivants que nous avons perdus de vue, des tas de petites personnes comme nous. Les arbres étaient des refuges, les samares des hélicoptères, les tritons des trophées.

Et il suffit parfois d’une seule odeur pour nous transporter à nouveau dans ce monde. Celle de l’humus, par exemple, que nous sommes trop grands aujourd’hui pour renifler. Celle des feuilles mortes, du gazon tondu.

Les Anciens pensaient qu’en raison de sa proximité physique avec le cerveau, le nez était le siège des sentiments. Le « sentiment » est d’ailleurs encore le nom donné aux odeurs laissées par les animaux dans le vocabulaire de la vénerie. On sait aujourd’hui que notre olfaction est le seul système sensoriel à avoir des projections directes vers le système limbique. C’est pourquoi le lien odeur-émotions est si fort chez l’humain. Comme les informations ne parviennent qu’ensuite au cortex, les odeurs nous plongent d’abord dans l’émotion avant d’être décortiquées par notre raison : nous sommes transportés avant de savoir pourquoi.

Alors pourquoi ne pas se servir de cette faculté ? La nostalgie thérapeutique permet aux personnes âgées qui ne peuvent plus se déplacer en nature, de laisser remonter la nature en elles et, avec elle, tous les souvenirs qui y sont attachés. Grâce à la nostalgie, les sentiments de perte sont atténués, les personnes disparues réapparaissent furtivement. Il suffit parfois d’une poignée de terre, de l’odeur d’un champignon pour que reviennent des parents, des amis d’enfance et avec eux toute l’enfance et ses tritons.

La prochaine fois que nous allons en forêt, pourquoi ne pas ramener une poignée d’odeurs à ceux qui ne peuvent plus s’y rendre et en parfumer les maisons de retraite ?


Hubert Mansion est le cofondateur de l’Université dans la Nature.

Philosophe et écrivain,  il est notamment l’auteur de Réconcilier, vers une identité environnementale (Nullius in Verba, 2023) et présente la série La nature et les mots (Youtube).

Suivez-nous sur  Linkedin et Facebook.

Previous
Previous

Le soutien-gorge qui cache la forêt

Next
Next

Le langage nous déconnecte du vivant