Les insectes sous ton écorce, ça te chatouille ou pas ?
Un enfant demande à « son » arbre s’il veut bien être son ami car il n’en a aucun. Une jeune fille voudrait que le chêne du jardin familial lui révèle si sa mère faisait des bêtises à son âge puisqu’il l’a vue grandir. Un garçon aimerait qu’un vieil hêtre lui raconte « comment étaient les dinosaures », un autre voudrait savoir comment ont été construites les pyramides et un dernier demande sérieusement à un sapin: « Les insectes sous ton écorce, ça te chatouille ou pas ? »
Depuis plusieurs mois au Luxembourg, dans le contexte du projet La forêt et moi l’Université dans la Nature demande à de jeunes enfants et adolescents d’écrire une lettre à leur arbre préféré. C’est une approche très nouvelle dans un cadre scolaire. Encourager des jeunes à considérer l’arbre comme une personne a toujours été dénigré par le milieu de l’éducation et en particulier par la science, au nom de la lutte contre l’anthropomorphisme, ennemi par excellence de l’esprit scientifique.
Mais la science n’est qu’une approche du vivant parmi d’autres. L’approche sensible n’est ni moins valable ni moins utile pour la santé du monde que la recherche de la vérité scientifique. Les premiers défenseurs de la nature, en Europe comme en Amérique, étaient d’ailleurs des artistes…
Cependant, on nous a tellement habitués à séparer le cognitif du sensible que ceux qui s’intéressent à l’un excluent souvent l’autre. Les analytiques sont traités de froids, pour ne pas dire de frigides, et les autres de poètes, comme si c’était une insulte. Quand on parle d’approche cognitive de la nature, et en particulier de faits scientifiques, les uns affirment qu’ils n’ont « pas besoin de preuve ». Ils savent déjà tout car ils « le sentent ». Les autres au contraire, se méfient de ce qu’ils sentent car ce n’est pas « objectif ». Mais les uns et les autres oublient l’ensemble de ces affirmations aussitôt qu’ils tombent amoureux : alors ils sentent et ils veulent connaître.
Ils ont raison. La noblesse humaine consiste à unifier le sensible et le rationnel, sans lesquels notre perception ne peut être complète. C’est pourquoi la crainte obsessionnelle de l’anthropomorphisme ne repose sur rien de sérieux. Ces enfants qui écrivent aux arbres savent très bien que les végétaux ne lisent pas : c’est eux-mêmes, en fait, qui se lisent. Ils nomment ce qu’ils ressentent. Et ces lettres ne les empêcheront nullement d’étudier la structure de l’écorce ni le processus de la photosynthèse. Mais, à l’inverse, s’ils ne connaissent que ceux-ci, comment pourront-ils créer une relation avec ces vivants ? Si un arbre n’est pour eux qu’une machine à capter les particules fines, à fabriquer de l’oxygène ou à réduire les îlots de chaleur, ils seront vite remplacés par des technologies écosystémiques. Et à l’ombre de ces nouvelles tours, quel Boudha trouvera-t-il la lumière ? Quel poète l’inspiration ? Quelle démocratie la palabre ?
Hubert Mansion est le cofondateur de l’Université dans la Nature.
Philosophe et écrivain, il est notamment l’auteur de Réconcilier, vers une identité environnementale (Nullius in Verba, 2023) et présente la série La nature et les mots (Youtube).