La nature peut-elle vaincre la pandémie du burn-out ? La science dit oui.

Virginie Wagnon décrit son burn-out comme une "descente aux enfers". Chef d'unité performante pour une institution européenne au Luxembourg, elle était souvent sollicitée comme personne-ressource et avait gagné la confiance de ses subordonnés et de ses supérieurs.

Une forte augmentation de sa charge de travail, combinée à un manque soudain de soutien professionnel, l'a amenée à travailler de 55 à 60 heures par semaine. « Je n'avais plus de temps pour rien d'autre que le travail... Je me suis isolée du monde. Un vide se creusait autour de moi et surtout en moi. Je mangeais tout et n'importe quoi : il fallait que je comble ce vide, » se souvient Virginie. « Je dormais de moins en moins, je me transformais en zombie. »

Mais sa personnalité perfectionniste et son cerveau continuaient à la pousser vers la performance à tout prix.

Son corps lui envoyait pourtant de grands avertissements. Pertes de mémoire, black-out à plusieurs reprises, elle en est venu à ne plus pouvoir enchaîner les idées ni même répondre aux courriels et appels téléphoniques. « J'ai pleuré de honte, » dit-elle. « Je dois admettre que, jusqu'alors, je pensais que seuls les paresseux souffraient d'épuisement professionnel... Je ne pouvais pas imaginer que je pouvais en être affectée. Et pourtant, je l'ai été ! »

L'expérience de Virginie n'est pas unique. Lorsqu'elle a été poussée dans un état de stress chronique, l'ancienne directrice des ressources humaines Anaïs Bouillet pensait qu'il s'agissait d'un simple virus saisonnier. « Après quelques semaines de congé, j'ai dû me rendre à l'évidence, » raconte-t-elle. « Mon corps et mon esprit m'avaient poussée à bout. Il était temps d'arrêter avant que les dégâts ne s'aggravent et ne deviennent irréparables. »

L'Organisation Mondiale de la Santé (OMS) répertorie le burn-out dans sa classification internationale des maladies et le définit comme un syndrome « résultant d'un stress chronique au travail qui n'a pas été géré avec succès. »

Une description moins clinique est donnée par la psychologue sociale Christina Maslach, qui définit le burnout comme un « épuisement psychologique et physique » résultant d'une « inadéquation fondamentale entre la nature d'une personne et la nature des circonstances. »

Cette inadéquation est de plus en plus fréquente dans notre culture moderne. Comme le décrit le psychologue organisationnel Marcus Muller dans son livre The ABC of Life, « en raison du nombre croissant et de l'étendue des déclencheurs de stress dans la vie moderne, nous constatons une augmentation substantielle des taux de personnes qui brûlent continuellement plus d'énergie psychosomatique qu'elles n'en génèrent, ce qui conduit finalement à l'épuisement professionnel. »

Les statistiques sur la prévalence de l'épuisement professionnel le confirment. Selon un rapport Gallup de 2020, 76 % des employés ont déjà été victimes d'épuisement professionnel, et le rapport précise que ces personnes sont 63 % plus susceptibles de prendre un congé de maladie et 2,6 fois plus susceptibles de chercher un nouveau travail. Même ceux qui restent en poste peuvent voir leur capacité de contribuer à leur équipe diminuer.

Selon Marcus Muller, qui a étudié l'impact de l'épuisement professionnel sur les organisations, « les pertes de productivité des entreprises américaines dues à la sous-performance des travailleurs et des employés qui passent en mode de survie au travail se chiffrent en centaines de milliards de dollars chaque année. »

Pour sortir du mode survie, Virginie et Anaïs ont dû repartir à zéro, ce qui a impliqué de prendre des congés et de passer plus de temps dans la nature.

« Habitant près d'une forêt, je m'y suis rendue tous les jours sans faute. Au fil du temps, j'ai passé de plus en plus de temps dans la forêt, parcourant de plus grandes distances, » explique Anaïs. « J'ai expérimenté les bienfaits de cette immersion en forêt sur les sphères physique, psychologique et physiologique de mon organisme. Les maux de tête intenses que j'avais avant ma première retraite dans la nature ont rapidement disparu. Je me suis sentie plus détendue et mon niveau d'énergie a augmenté. »

(Crédit photo : IMS Luxembourg)

Virginie, de son côté a cherché dans la nature un moyen de revenir à l'essentiel et à elle-même. « Le médecin voulait me prescrire des antidépresseurs, mais je ne voulais pas de cela, je n'étais pas déprimée, » explique-t-elle. « Je voulais trouver des solutions naturelles, alors j'ai commencé par me promener dans la forêt toute proche et à profiter de ces moments pour moi et avec moi. »

Au cours de la dernière décennie, la communauté des chercheurs a accumulé des preuves scientifiques de ce que ces deux femmes ont vécu dans la forêt. Il s'avère que le contact avec la nature fait intervenir les cinq sens dans le processus de guérison. Cela inclut un paysage visuellement apaisant et l'odeur bénéfique des phytoncides, des huiles essentielles d'arbres aux propriétés médicinales.

Une étude internationale à laquelle ont contribué des chercheurs coréens, japonais et finlandais a montré que, parmi les 48 participants, les états d'humeur négatifs et les niveaux d'anxiété ont diminué de manière significative lors des promenades en forêt par rapport aux promenades en ville.

Pour les participants à la marche en forêt, ces éléments naturels ont eu un effet positif global sur la relaxation cardiovasculaire, entraînant une activation du système nerveux parasympathique - le réseau de nerfs qui détend le corps - et une suppression de la réaction de « lutte ou de fuite » du système nerveux sympathique.

Il a également été démontré que l'environnement forestier détendait le système nerveux central, supprimant la libération d'hormones de stress telles que le cortisol, l'adrénaline et la noradrénaline. Un questionnaire rempli par les participants a montré que ceux qui marchaient en forêt ressentaient moins d'états d'âme négatifs tels que tension-anxiété, colère-hostilité, fatigue et confusion, par rapport à ceux qui marchaient en milieu urbain.

Anaïs explique que marcher dans la nature a permis à son cerveau de faire l'espace nécessaire à la résolution de problèmes à long terme. Elle a appris par la suite que ce phénomène portait un nom, la théorie de la restauration de l'attention, proposée par Rachel et Stephen Kaplan dans The Experience of Nature.

Devant un paysage naturel, le cerveau peut se détendre et vagabonder sans but précis. Cela lui permet d'entrer dans un état d'attention non dirigée ou de « fascination douce, » qui aide à lutter contre la fatigue mentale.

(Crédit photo : IMS Luxembourg)

Cette restauration mentale s'avère efficace même dans les professions présentant un taux élevé de stress chronique et d'épuisement professionnel, comme le domaine médical. Une étude réalisée en 2018 auprès d'infirmières pendant leurs pauses quotidiennes a révélé que celles qui prenaient une pause de 20 minutes dans le jardin de l'hôpital bénéficiaient d'avantages psychologiques significatifs par rapport aux infirmières qui prenaient des pauses à l'intérieur, et a conclu qu'il pourrait s'agir d'un moyen simple d'atténuer l'épuisement professionnel au sein de la profession médicale.

En rapprochant ces deux corpus de recherche, la nature s’avère donc un outil efficace et accessible de réduction des symptômes psychologiques négatifs de l'épuisement professionnel. Elle ne fait pas disparaître le stress lié au travail mais les données indiquent que la nature peut ralentir la spirale négative du burnout en limitant les sorties d'énergie et en augmentant les entrées d'énergie.

L'Université dans la Nature (UdN) travaille au centre de ces données, formant les praticiens à appliquer la recherche à la prévention et à la lutte contre la pandémie croissante de burnout.

Faut-il attendre un épuisement professionnel comme celui qu'ont connu Virginie et Anaïs pour que les individus soient encouragés à rechercher les bienfaits de la nature pour leur santé ?

Pour les deux jeunes femmes, la réponse est non. C'est pourquoi elles ont décidé de transformer leur propre expérience d'épuisement professionnel en une opportunité d'aider les autres en devenant des guides certifiés dans le cadre du programme Nature (Re)Connection de l'UdN.

(Crédit photo : IMS Luxembourg)

Anaïs utilise sa formation de l'UdN pour offrir une thérapie forestière à d'autres personnes en Lorraine et au Luxembourg, en les aidant à comprendre « pourquoi la nature nous apporte des bienfaits et pourquoi il est nécessaire de (re)créer ce lien avec elle le plus rapidement possible. »

Cherchant également à réorienter sa carrière, Isabel Van de Voorde, coach nature basée au Luxembourg, s'est inscrite au programme Ecoleader de l'UdN afin de combiner sa passion pour le plein air et son objectif d'améliorer le bien-être mental au travail. « Le programme de l'Université dans la Nature m'a permis de mieux comprendre l'évolution de la relation entre l'homme et la nature et l'impact de la reconnexion à la nature sur notre bien-être, » explique-t-elle.

Isabel ajoute que sa nouvelle profession est confrontée à certains défis, en particulier dans les entreprises, où les stigmates de la reconnexion à la nature, considérée comme non conventionnelle et parfois « new-age » sont les plus forts.

C'est pourquoi elle estime qu'il est essentiel de normaliser la pratique. Les guides certifiés par l'UdN possèdent les connaissances et les compétences nécessaires pour créer des expériences transformatrices en forêt pour un large éventail de groupes, en leur enseignant ce que la science montre sur l'impact de la nature sur la santé mentale et physique.

L'accessibilité des espaces naturels dans lesquels ces expériences peuvent être vécues est un autre défi majeur que l'UdN entend relever.

La population mondiale vit plus que jamais dans des zones urbaines, une tendance qui devrait s'accélérer, mais notre évolution humaine ne s'est pas adaptée pour avoir moins besoin de la nature - la science et les expériences de Virginie et Anaïs en témoignent. Pour Anaïs, la solution est simple : « Il faut placer la nature au cœur de la vie de chacun. »

À cette fin, l'UdN propose également des activités et des programmes axés sur la nature aux personnes défavorisées et s'efforce de mettre les preuves scientifiques entre les mains des décideurs.

La nature s'impose à nous comme un moyen relativement facile et scientifiquement prouvé de diminuer et de prévenir le stress mental et la fatigue attentionnelle, et même d'aider les employés à se remettre d'un épuisement professionnel. Tout ce que nous avons à faire, c'est de nous asseoir suffisamment longtemps pour l'entendre.


Sources :

Burnout an "occupational phenomenon": International Classification of Diseases. (2019). https://www.who.int/news/item/28-05-2019-burnout-an-occupational-phenomenon-international-classification-of-diseases

Cordoza, M. et al. (2018). Impact of Nurses Taking Daily Work Breaks in a Hospital Garden on burnout. https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/30385543/

Employee burnout: The Biggest Myth. (2020). https://www.gallup.com/workplace/288539/employee-burnout-biggest-myth.aspx

Envisioning the Future of Cities (2022). https://unhabitat.org/sites/default/files/2022/06/wcr_2022.pdf

Kaplan R., Kaplan S. The Experience of Nature: A Psychological Perspective. (1989) Cambridge University Press

Lee, J., et al. (2014). Influence of Forest Therapy on Cardiovascular Relaxation in Young Adults. https://www.hindawi.com/journals/ecam/2014/834360/

Muller, M., The ABC of Life. (2023). Amsterdam University Press.


Johanna Sorrentino est rédactrice et stratège de contenu spécialisée dans la santé, la science et l'éducation. Vous pouvez en savoir plus sur son travail et vous connecter avec elle sur LinkedIn.

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